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La psychogénéalogie, vue par Anne Ancelin Schützenberger

mardi 25 septembre 2012, par Jean Luc Penet

La psychogénéalogie vu par Anne Ancelin Schützenberger Article paru dans Le Monde.fr

Tristesse, dépression, accidents, parfois l’origine de nos problèmes et de nos maux trouvent leur origine dans notre histoire familiale, faite de non-dits, secrets, deuils non digérés. La psychogénéalogie, terme inventé par Anne Ancelin Schützenberger, psychothérapeute, permet de mettre en lumière ces liens invisibles que nous avons avec nos ancêtres sans même en avoir conscience, et de pouvoir s’en libérer. La célèbre phrase d’André Gide « Familles, je vous hais » reflète, à l’extrême, l’ambivalence amour-haine, parfois inconsciente, que chacun entretient avec sa famille. Peut-être l’écrivain aurait-il tiré parti d’une séance de psychogénéalogie, cette discipline qui mêle psychologie, psychanalyse et sociologie ? Elle nous apprend qu’on hérite autre chose de ses aïeux qu’un regard bleu azur ou une tendance à la colère : une part de leur vécu douloureux. Deuils non accomplis, secrets de famille, traumatismes non digérés, non-dits... Nous sommes là au cœur du transgénérationnel, qui concerne tout ce qui est transmis inconsciemment de génération en génération au sein d’une même famille. La « psychogénéalogie » est un terme inventé dans les années 1980 par Anne Ancelin Schützenberger, une psychothérapeute (auteure de Psychogénéalogie, Payot, 286 p., 18 €) qui a mené des recherches sur ces transmissions invisibles, sources de maux psychiques chez les descendants. « Ce qui ne s’exprime pas en mots s’imprime et s’exprime alors en maux », dit cette pionnière.

Pour dénouer ces fils invisibles, elle a créé le génosociogramme : un arbre généalogique dessiné à grands traits de couleur se déployant sur trois ou quatre générations, et incluant les événements importants et marquants de la vie familiale et personnelle : naissances et morts, mariages et divorces ou séparations, accidents, fausses couches, maladies physiques et psychiques... « La personne qui consulte ressent toujours une grande émotion quand elle voit l’image de sa famille se dessiner sous ses yeux », commente la psychologue Evelyne Bissone Jeufroy.

Le thérapeute, lui, établit des liens entre les événements et les dates. Mais pas seulement. Il est réceptif aux réactions de son patient : un corps qui se crispe, des yeux qui deviennent humides, autant de signes montrant que l’on aborde un point sensible de l’histoire familiale. Généralement, tout se passe en une séance, voire deux. « Même lorsqu’on n’a pas beaucoup d’informations sur sa famille, on peut tout de même travailler, car on utilise la mémoire de l’inconscient qui, lui, sait tout ! », rassure Evelyne Bissone Jeufroy. Ensuite, le thérapeute pourra prescrire des actes symboliques, afin de réparer les blessures du passé.

Cette psychologue reçoit ainsi en consultation une jeune femme triste depuis toujours, mais non dépressive, et qui a tout pour être heureuse : un mari, deux enfants, un métier qui la passionne. « En remontant dans son arbre généalogique, nous avons repéré que son grand-père s’était suicidé et que c’est sa propre mère, alors âgée de 5 ans, qui l’a découvert. Elle connaissait cet événement, mais n’avait pas pris conscience qu’elle portait sur ses épaules la tristesse de sa mère. Je lui ai alors demandé d’écrire une lettre à celle-ci, dans laquelle elle lui rendait cette tristesse qui n’était pas la sienne, puis de la brûler dans sa cheminée. Quelques jours plus tard, cette jeune femme, qui s’habillait toujours en noir, portait des vêtements de couleur. »

Les loyautés invisibles (fidélités inconscientes à un ancêtre) se manifestent aussi à travers le corps. Ainsi Louise (le prénom a été changé), 42 ans, tombe malade à 33 ans, au même âge que son grand-père et, tout comme lui, d’une maladie respiratoire. Elle est en psychanalyse, mais, sur les conseils d’un ami, décide de consulter une psychogénéalogiste. « J’étais consciente d’être tombée malade au même âge que mon grand-père. Mais, avec cette femme, j’ai compris à quel point mon aïeul, décédé à 36 ans, avait été idéalisé par ma grand-mère, qui ne s’est d’ailleurs jamais remariée, et par ma mère, qui était enfant à l’époque, raconte la jeune femme. Ma maladie était une façon inconsciente de me rapprocher de lui. Cette psychogénéalogiste, intuitive et subtile, a également pointé d’autres schémas répétitifs. Pour moi, cela faisait sens dans mon histoire. » Louise a vécu un syndrome d’anniversaire. Ou comment l’on peut revivre un événement dramatique au même âge qu’un ancêtre, voire à la même date ou au même mois... Des répétitions conscientes ou pas, qui courent parfois sur plusieurs générations.

Anne Ancelin Schützenberger pense que l’événement originel peut même remonter à un ou plusieurs siècles. Une hypothèse qui ne fait pas l’unanimité parmi les psys, certains estimant que les effets d’un événement traumatique ou d’un secret de famille se diluent dès la génération des arrière-petits-enfants. Inutile donc de vous ruer chez un généalogiste dans l’espoir de remonter jusqu’au siècle des Lumières et d’y découvrir un éventuel ancêtre décapité sous la Révolution qui pourrait expliquer vos douleurs cervicales actuelles !

« C’est au thérapeute de faire la différence entre ce qui relève du hasard et ce qui témoigne d’une répétition d’événement ou d’un syndrome d’anniversaire, explique Karine Segard, psychologue (co-auteure avec Isabelle de Roux de La Psychogénéalogie, Eyrolles, 184 p., 10 euros). Il y a des coïncidences que les gens érigent en destinée. C’est souvent le cas avec les patients qui ont grandi dans une famille où le sentiment de fatalité est très présent. »

Comment expliquer ces héritages encombrants ? Par une sorte d’inconscient familial qui se transmettrait d’une génération à l’autre ? Oui, mais un inconscient qui s’exprimerait surtout à travers le corps. « 80 % de notre façon de communiquer passe par le non-verbal, ajoute Karine Segard. Pas uniquement les silences, mais aussi les gestuelles, les mimiques. » Anne Ancelin Schützenberger évoque certains facteurs biologiques ou bioélectriques, même si elle admet que la science n’a pas encore validé ces hypothèses.

Certes, la psychogénéalogie permet de « renvoyer » à nos ancêtres une souffrance qui ne nous appartient pas. Mais vient-elle en lieu et place d’une psychothérapie ? « Non, répond Karine Segard, c’est un outil que certains psys intègrent dans leur pratique, mais elle n’a rien de magique. La levée d’un secret de famille ou le repérage d’une date anniversaire douloureuse ne suffisent pas à guérir de ses blessures familiales. En revanche, cet outil nous donne de précieuses indications sur le travail à effectuer. »

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